Deux ans après le conflit à Gaza, les forces armées israéliennes traversent une crise sans précédent : des dizaines de milliers de réservistes refusent désormais d’obtempérer aux appels à rejoindre les unités. Cette rébellion massive, combinant épuisement, désaccords stratégiques et rejet politique, met en péril l’efficacité opérationnelle de Tsahal, dont la structure repose sur ses 350 000 réservistes pour compenser les effectifs militaires réduits.
Au début du conflit, en octobre 2023, un million de réservistes avaient été mobilisés, marquant une mobilisation sans précédent. Mais la dynamique a décliné brutalement : seulement 60 % des convocations ont été honorées en mars 2025, contre plus de 100 % initialement. Dans certaines unités, moins de 50 % des soldats se sont présentés, avec plus de 100 000 réservistes ayant abandonné leurs obligations.
Ce phénomène, historiquement marginal, s’organise désormais en mouvement collectif. Des lettres ouvertes publiées dans la presse israélienne exigent l’arrêt des combats et une priorité accordée aux négociations pour libérer les otages détenus par le Hamas. Cette contestation révèle une fracture profonde au sein de la société israélienne, où la tradition d’une « armée du peuple » est désormais mise en question.
Le gouvernement Netanyahu a condamné ce rejet comme un acte « impardonnable », accusant les réservistes de fragiliser Israël face à l’ennemi. Des sanctions ont été appliquées aux signataires de protestations, mais une répression massive risquerait de transformer ces opposants en martyrs. Tsahal envisage des mesures radicales pour combler le déficit : prolonger l’âge du service de réserve et augmenter la présence de soldats dans les zones de combat. Cependant, ces solutions restent insuffisantes face à l’érosion massive du soutien aux opérations militaires.
Cette révolte n’est pas sans précédent en Israël : en 2002, pendant la seconde Intifada, des réservistes avaient déjà protesté contre l’occupation, et en 2023, avant le conflit, des pilotes menaçaient un boycott lié à une réforme judiciaire. Mais jamais un mouvement de cette ampleur n’avait bénéficié d’un soutien aussi large parmi les citoyens et les élites militaires.
Au-delà du champ militaire, la crise des réservistes reflète une profonde déchirure nationale. Des manifestations à Tel-Aviv rassemblent désormais des milliers de manifestants exigeant l’arrêt des hostilités et la démission de Netanyahu. Parallèlement, l’émigration connaît un pic inquiétant : 500 000 Israéliens auraient quitté le pays en 2024, avec 40 % envisageant de s’exiler.
Bien que minoritaire par rapport au nombre total des réservistes, ce mouvement a un impact symbolique majeur : il ébranle la légitimité de Tsahal comme « armée populaire », remet en cause l’unité nationale et alimente le débat sur la moralité d’une guerre perçue comme une impasse. Israël révèle ainsi une société divisée entre les partisans d’une poursuite des opérations et ceux qui exigent un changement radical de stratégie, au risque d’une usure militaire et morale sans précédent.