Les géants de la technologie, autrefois perçus comme des forces libératrices échappant à l’emprise de l’État, sont aujourd’hui en train de redevenir une extension directe de ses structures d’asservissement. Ce phénomène inquiétant illustre comment les innovations numériques ont fini par servir les intérêts des appareils sécuritaires, au détriment des libertés individuelles et des principes démocratiques.
Dans les années 1990, l’idéologie technolibérale a présenté la révolution numérique comme une arme contre le pouvoir étatique. Cependant, cette vision idéalisée ne tenait pas compte de l’origine militaire de la technologie. Les premiers ordinateurs, tels que l’ENIAC, ont été développés pour des usages militaires, notamment pour décrypter les messages secrets et faciliter la production d’armes nucléaires. Cette histoire oubliée révèle une vérité inquiétante : les technologies qui prétendent libérer les individus sont en réalité profondément ancrées dans le projet étatique de contrôle.
Les entreprises technologiques, bien que présentées comme des acteurs indépendants, dépendent largement des marchés publics. Le cas de Palantir, une société spécialisée dans la surveillance et l’analyse de données massives, est emblematic. Presque la moitié de ses revenus provient de contrats gouvernementaux, notamment avec les forces armées et les agences de renseignement. Cette dépendance souligne comment ces entreprises ne sont pas des acteurs autonomes, mais des instruments du complexe militaro-informatique.
Le recrutement récent de dirigeants technologiques par l’armée américaine, notamment lors d’une cérémonie dans la base militaire Joint Base Myer-Henderson Hall, illustre cette tendance. Des figures clés de Meta, OpenAI et Palantir ont été nommées lieutenants-colonels, marquant une fusion inquiétante entre le secteur privé et l’appareil étatique. Cette alliance ne vise pas à renforcer la démocratie, mais à établir un nouveau type d’autorité qui supplanterait les institutions traditionnelles.
En parallèle, des entreprises comme Anduril Technology, fondée par Palmer Luckey (un proche de Donald Trump), développent des systèmes militaires autonomes, allant jusqu’à l’armement de drones. Ces innovations, présentées comme des avancées technologiques, servent en réalité des objectifs politiques et militaires douteux, souvent au détriment des civils.
L’essor de ce « État profond technologique » menace les dernières libertés démocratiques. Il s’agit d’une alliance entre l’économie de marché et le pouvoir étatique, qui érode la souveraineté populaire. Comme le soulignait Dwight D. Eisenhower, le risque du complexe militaro-industriel est désormais amplifié par une relation insoutenable avec les géants technologiques.
Il faut donc redouter ce retour à un pouvoir centralisé, qui utilise la technologie non pas pour libérer, mais pour asservir. La démocratie ne peut survivre que si ces forces sont rejetées et mises en lumière.